LES SECRETS DU COEUR

 



 Dans ces merveilleux textes des Secrets du Coeur, "Gibran le Poète" nous chante son Amour 

pour la Liberté des Hommes, et pour son Maître Absolu et bien aimé, "le Nazaréen"


                                                                                                                                             Gabrielle Ségui

 

 

Le Poète


 Je suis un étranger dans ce monde et il y a, dans mon exil, une sévère solitude et un pénible isolement. Je suis seul, mais dans cette solitude, je contemple un pays inconnu et enchanteur, et cette méditation emplit mes rêves des fantômes d'un grand et lointain pays que mes yeux n'ont jamais vu.


 Je suis un étranger au milieu de mon peuple, et je n'ai pas d'amis. Lorsque je vois quelqu'un , je me dis en moi-même : « Qui est-ce, comment l'ai-je connu, pourquoi est-il ici, et quelle loi m'unit à lui ? »


Je suis un étranger envers moi-même, et lorsque j'entends parler ma langue, mes oreilles s'étonnent de ma voix. Je vois mon moi intérieur sourire, pleurer, braver et craindre. Et mon existence s'étonne de ma substance tandis que mon âme interroge mon coeur. Mais je demeure inconnu, enfoui dans un effrayant silence.


 Mes pensées sont des étrangers pour mon corps et lorsque je me tiens devant un miroir, je vois sur mon visage quelque chose que mon âme ne voit pas et je trouve dans mes yeux ce que mon moi intérieur n'y a pas découvert.


 Lorsque je me promène, le regard vide, dans les rues de la bruyante cité, les enfants me suivent en criant: voici un aveugle. Donnons-lui une canne pour qu'il cherche son chemin à tâton. « Lorsque je les fuis, je trouve un groupe de jeunes filles, et elles s'accrochent à mes vêtements en disant:« Il est sourd comme un roc. Emplissons ses oreilles de la musique de l'Amour. « Et lorsque je m'écarte d'elles, une foule de gens âgés me montrent du doigt tremblant en disant: « C'est un fou qui a perdu l'esprit dans le monde des génies et des goules. »


 Je suis un étranger dans ce monde. J'ai parcouru l'Univers d'un bout à l'autre, mais je n'ai pu trouver un endroit où reposer ma tête. Et je n'ai connu aucun des humains que j'ai rencontrés, ni un individu qui ait voulu prêter l'oreille à mon âme.


Lorsque j'ouvre à l'aurore mes yeux qui n'ont pas connu le sommeil, je me trouve emprisonné dans une sombre grotte au plafond de laquelle pendent des insectes et sur le sol de laquelle rampent des vipères.


Lorsque je sors pour trouver la lumière, l'ombre de mon corps me suit, mais l'ombre de mon esprit me précède et me ramène vers un endroit inconnu à la recherche de choses qui dépassent mon entendement, et elle s'empare d'objets qui n'ont pour moi aucune signification.


 Le soir, je rentre et je me couche sur mon lit fait de tendres plumes bordé d'épines, je contemple en moi de troublants et heureux désirs et je ressens de pénibles et joyeuses espérances.


 À minuit, les fantômes des temps révolus et les esprits des civilisations perdues s'insinuent dans les failles de la grotte pour venir me parler... Je les regarde et ils me regardent. Je leur parle et ils me répondent en souriant. Alors, je tente de les saisir, mais ils me glissent entre les doigts et s'évanouissent comme le brouillard qui s'étend sur le lac.


 Je suis un étranger dans ce monde, et il n'est personne dans l'Univers qui comprenne le langage que je parle.Le dessin de bizarres souvenances se forment soudainement dans mon esprit et mes yeux font apparaître d'étranges images et de tristes fantômes. Je me promène dans les prairies désertes, j'observe les ruisseaux à la course rapide qui remontent de la vallée vers le sommet de la montagne. J'observe les arbres dénudés qui fleurissent et qui portent leurs fruits et qui perdent leur feuilles en un instant. Puis je vois tomber les branches qui se transforment en serpents mouchetés.


Je vois les oiseaux qui flânent là-haut en chantant ou en poussant des cris plaintifs. Puis ils s'arrêtent, ouvrent leurs ailes et se transforment en jeunes filles dévêtues à la longue chevelure. Elles me regardent de leurs yeux fardés et fous, et elles me sourient de leurs lèvres pleines, barbouillées de miel, et elles tendent vers moi leurs mains parfumées. Puis elles montent et disparaissent à ma vue comme des fantômes, laissant au firmament l'écho sonore de leurs railleries et de leurs rires moqueurs.


 Je suis un étranger dans ce monde... Je suis un poète qui versifie la prose de la vie, et qui compose en prose ce que la vie versifie.


 Pour cette raison, je suis un étranger, et je resterai un étranger jusqu'au moment où les ailes blanches et fraternelles de la mort me ramèneront chez moi dans mon beau pays. Là, où habitent la lumière, la paix et la compréhension, j'attendrai les autres étrangers qui seront sauvés de ce monde mesquin et sombre par le piège amical du temps.




 L'esclavage


 Les gens sont les esclaves de la Vie, et c'est l'esclavage qui remplit leurs jours de misère et de détresse, qui inonde leurs nuits de larmes et d'angoisse. Sept mille ans ont passé depuis le jour de ma première naissance, et depuis, j'ai pu observer les esclaves de la Vie portant leurs lourdes chaînes.


 J'ai parcouru l'Est et l'Ouest de la terre, et je me suis promené dans la Lumière et dans l'Ombre de la Vie. j'ai vu les processions des civilisations marcher de la lumière vers les ténèbres, et chacune était conduite vers l'enfer par des âmes humiliées, penchées sous le joug de l'esclavage. Les forts sont enchaînés et soumis, les fidèles, à genoux, idolâtrent les idoles.


 J'ai suivi l'Homme de Babylone au Caire et d'Aïn Dour à Bagdad, et j'ai observé sur le sable la trace de ses chaînes. J'ai entendu les tristes échos des âges inconstants répétés par les vallées et les prairies éternelles.


 J'ai visité les temples et les autels, je suis entré dans les palais, je me suis assis devant des trônes. J'ai vu l'apprenti devenir l'esclave de l'artisan, l'artisan l'esclave de l'employeur, l'employeur l'esclave du soldat, le soldat l'esclave du gouverneur, le gouverneur l'esclave du roi, le roi l'esclave du prêtre et le prêtre l'esclave de l'idole... Et l'idole n'est rien d'autre que de la terre modelée par Satan et érigée sur un monticule de crânes.


 Je suis entré dans les maisons des riches et j'ai visité les huttes des pauvres. J'ai vu le bébé boire le lait de l'esclavage au sein de sa mère, et les enfants apprendre la soumission avec leur alphabet.


 Les jeunes filles portent des vêtements de restriction et de passivité et les épouses en larmes se couchent sur les lits de l'obéissance et des obligations légales.


 J'ai accompagné le cours des âges depuis les rives du Gange jusqu'aux bords de l'Euphrate, depuis l'embouchure du Nil jusqu'aux plaines d'Assyrie, depuis les arènes d'Athènes jusqu'aux églises de Rome, depuis les taudis de Constantinople jusqu'aux palais d'Alexandrie...Et cependant, j'ai vu partout l'esclavage se mouvoir dans une glorieuse et majestueuse procession d'ignorance.


 J'ai vu le peuple sacrifier les jeunes gens et les jeunes filles aux pieds de l'idole qu'ils appelaient leur Dieu, verser sur ses pieds le vin et les parfums en l'appelant leur Reine, brûler de l'encens devant son image en l'appelant leur Prophète, s'agenouiller devant elle et l'adorer en l'appelant la Loi, se battre et mourir pour elle en l'appelant leur Patriotisme, se soumettre à sa volonté en l'appelant l'Ombre de Dieu sur la terre, détruire et démolir pour elle les maisons et les institutions en l'appelant leur Fraternité, lutter, voler et travailler pour elle en l'appelant leur Fortune et leur Joie, tuer pour elle en l'appelant leur Égalité.


 Elle possède plusieurs noms, mais une seule réalité. Elle a de nombreuses apparences, mais elle est faite d'un seul élément. En vérité, elle est une maladie perpétuelle que chaque génération lègue à ses successeurs.


J'ai trouvé l'aveugle esclavage qui lie le présent des gens au passé de leurs parents, et qui les poussent à céder à leurs traditions et à leurs coutumes en introduisant l'esprit ancien dans un corps neuf.


 J'ai trouvé l'esclavage muet qui associe la vie d'un homme à une femme qu'il abhorre, et qui dépose le corps de la femme dans le lit d'un mari qu'elle hait en étouffant spirituellement leurs deux existence.


 J'ai trouvé l'esclavage sourd qui étouffe l'âme et le coeur et qui fait de l'homme l'écho vide d'une voix et l'ombre pitoyable d'un corps.


J'ai trouvé l'esclavage infirme qui place le cou de l'homme sous le joug d'un tyran et qui soumet les corps vigoureux et les esprits faibles aux fils de l'Avidité, afin qu'ils puissent s'en servir comme instruments de leur pouvoir.


 J'ai trouvé l'esclavage affreux qui descend du spacieux firmament avec l'âme des enfants pour pénétrer dans la maison de la Misère, où le Besoin vit de l'Ignorance et où l'Humiliation côtoie le Désespoir. Les enfants grandissent en miséreux, vivent en criminels et meurent en êtres inexistants, méprisés et rejetés.


J'ai trouvé l'esclavage subtil qui donne aux choses d'autres noms que les leurs, qui appelle malice l'intelligence, vide une connaissance, faiblesse une tendresse et lâcheté un ferme refus.


 J'ai trouvé l'esclavage retors, qui fait remuer avec crainte les langues des faibles et les pousse à parler contre leurs sentiments. Ils feignent alors de méditer sur leurs devoirs, mais ils deviennent aussi vides que des sacs qu'un enfant peut plier et suspendre.


 J'ai trouvé l'esclavage courbé qui oblige une nation à subir les lois et les règlements d'une autre nation, et dont la courbure est plus grande de jour en jour.


 J'ai trouvé l'esclavage perpétuel, qui couronne comme roi les fils des monarques et n'a aucune considération pour le mérite.


J'ai trouvé l'esclavage noir qui marque pour toujours du sceau de la honte et de la disgrâce les fils innocents des criminels. Quand on contemple l'esclavage on découvre qu'il possède le vicieux pouvoir de se perpétuer et de se propager.


 Lorsque je me sentis las de suivre les âges dissolus et fatigué de regarder les processions des peuples lapidés, je marchai en solitaire dans la Vallée de l'Ombre de la Vie, où le passé essaie de se cacher dans un sentiment de culpabilité et où l'âme du futur se replie et se repose trop longtemps. Là, sur les berges de la Rivière du Sang et des Larmes qui rampent comme une vipère venimeuse et se tord comme les rêves d'un criminel, j'ai entendu le murmure effrayé des fantômes des esclaves et j'ai regardé le néant.


 Lorsque vint minuit et que les esprits jaillirent de leur cachettes, je vis un spectre cadavérique et mourant tomber sur les genoux et regarder la lune. Je m'en approchai et lui demandai: « Quel est ton nom ? » « Mon nom est Liberté » répondit l'ombre blême du cadavre. Et je demandai: « Où sont tes enfants ? » Et la Liberté, gémissante et faible, dit dans un souffle : « L'un est mort crucifié, un autre est mort fou et le troisième n'est pas encore né. »


 Elle s'éloigna en chancelant et continua à parler, mais le voile de mes yeux et les cris de mon coeur m'empêchèrent de voir et d'entendre.



 Le Crucifié

 

(écrit un vendredi saint)


 Aujourd'hui, et le même jour de chaque année, l'homme est réveillé en sursaut de son profond sommeil et se dresse devant les fantômes des Siècles pour regarder, les yeux pleins de larmes, le Mont Calvaire où Jésus le Nazaréen est cloué sur la Croix... Mais lorsque le jour s'achève et que le soir vient, les humains s'en retournent et vont s'agenouiller pour prier les idoles dressées sur le sommet de chaque colline, dans chaque prairie et là où l'on échange le blé.


 Aujourd'hui, les âmes des Chrétiens voyagent sur les ailes des souvenirs et volent vers Jérusalem. Elles s'y presseront en foule, se battront la poitrine et Le contempleront, coiffé d'une couronne d'épine, tendant Ses bras vers le ciel et regardant à travers le voile de la Mort les profondeurs de la Vie...


 Mais lorsque le voile de la nuit tombera sur la scène du jour et que la courte tragédie s'achèvera, les Chrétiens s'en retourneront en groupes et se coucheront à l'ombre de l'oubli entre les couvertures de l'ignorance et de la paresse.


 En cet unique jour de chaque année, les philosophes quittent leurs sombres grottes et les penseurs leurs froides cellules et les poètes leurs charmilles imaginaires, et tous se tiennent avec respect sur cette montagne silencieuse pour écouter la voix d'un jeune homme disant de ses meurtriers : « Oh, Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font. » Mais lorsque le sombre silence étouffe les voix de la lumière,les philosophes et les penseurs et les poètes retournent dans leurs antres étroits et ensevelissent leurs âmes dans les feuilles de parchemin dénuées de sens.


 Les femmes qui s'activent dans la splendeur de la Vie se lèveront aujourd'hui de leur coussins pour aller voir la femme affligée qui se tient devant la Croix comme un tendre arbrisseau dans une furieuse tempête. Et lorsqu'elles s'approcheront d'elle, elles entendront un profond gémissement et un chagrin plein de douleur.


 Les jeunes hommes et les jeunes femmes qui courent avec le torrent de la civilisation moderne, s'attarderont un moment en ce jour et regarderont derrière eux pour voir la jeune Madeleine lavant de ses larmes les taches de sang sur les pieds du Saint Homme suspendu entre Ciel et Terre. Et lorsque leurs yeux creux seront fatigués de la scène, ils s'en iront et recommenceront bientôt à rire.


 Chaque année, en ce jour, l'Humanité s'éveille avec le retour du Printemps, et elle se tient en pleurant aux pieds du Nazaréen qui souffre. Alors, elle ferme les yeux et s'abandonne à un profond sommeil. Mais le Printemps reste éveillé, il sourit et il progresse jusqu'au moment où il se fondra dans l'Été qu'habille un vêtement d'or plein de senteurs.


 L'Humanité est une pleureuse qui aime se lamenter sur les héros et sur les souvenirs des Siècles... Mais si l'Humanité était douée de compréhension, elle se réjouirait de leur gloire.


 L'Humanité est comme un enfant qui se tient en riant prés d'un animal blessé. L'Humanité rit devant le torrent en crue qui emporte vers l'oubli les branches mortes des arbres et qui balaie avec détermination tout ce qui n'est pas fermement attaché.


L'Humanité considère Jésus de Nazareth comme un pauvre de naissance Qui a souffert de la misère et de l'humiliation avec tous les autres faibles. Et on a pitié de Lui, parce que l'Humanité croit qu'il a été crucifié dans la souffrance... Et tout ce que l'humanité lui offre, ce sont des pleurs, des gémissements, et des lamentations. Pendant des Siècles, l'Humanité a adoré la faiblesse dans la personne du Sauveur.


 Le Nazaréen n'était pas faible ! Il était fort, et il est fort ! Mais les gens refusent de tenir compte de la vraie signification de la force.


 Jésus n'a jamais vécu une existence craintive, et il n'est pas mort en souffrant et en se lamentant... Il a vécu comme un Maître. Il a été crucifié comme un Croisé. Il est mort avec un héroïsme qui a effrayé ses meurtriers et se persécuteurs.


 Jésus n'était pas un oiseau aux ailes brisées. Il était une furieuse tempête qui a brisé toutes les ailes tordues. Il ne craignait ni Ses persécuteurs ni Ses ennemis. Il n'a pas souffert devant Ses meurtriers. Il était libre, courageux et audacieux. Il a défié tous les despotes et tous les oppresseurs. Il a vu les pustules contagieuses et Il les a excisées... Il a fait taire le Mal, Il a écrasé la Fausseté, Il a étouffé la Fourberie.


 Jésus n'est pas venu du coeur du cercle de Lumière pour détruire les demeures des hommes et construire sur leurs ruines des couvents et des monastères. Il n'a pas persuadé l'homme fort de devenir moine ou prêtre, mais Il est venu pour propager sur cette terre un esprit nouveau, avec le pouvoir de saper les fondations de toute monarchie bâtie sur les ossements et les crânes humains...


 Il est venu détruire les palais majestueux, construits sur les tombes des faibles, et écraser les idoles érigées sur le corps des pauvres. Jésus ne nous a pas été envoyé pour apprendre au peuple à bâtir de somptueuses églises et des temples magnifiques au milieux des huttes froides et délabrées et des tristes masures... Il est venu pour faire un temple du coeur de l'homme, un autel de son âme et un prêtre de son esprit.


 Telle était la mission de Jésus de Nazareth, et tels sont les enseignements pour lesquels on l'a crucifié. Et si l'Humanité était sage, elle se lèverait en ce jour pour chanter avec force la chant de la conquête et l'hymne du triomphe.



 

Oh, Jésus crucifié, qui du haut du Calvaire regarde avec chagrin la triste procession des Siècles, qui entend la clameur des sombres nations et qui comprend les rêves de l'Éternité...


Tu es, sur la Croix, plus glorieux et plus digne que mille rois sur mille trônes dans un millier d'empires...


 Dans l'agonie de la mort, Tu es plus puissant que mille généraux dans mille guerres...


Avec toute ta tristesse, Tu es plus joyeux que le Printemps avec ses fleurs...


 Avec toute Ta souffrance, Tu restes plus courageusement silencieux que les pleurs des anges du ciel...


 Devant ceux qui Te flagellent, tu es plus résolu qu'une montagne de pierre...


 Les taches de sang sur Tes pieds sont plus resplendissantes que le collier d'Ashtart


 Pardonne aux faibles qui se lamentent sur Toi aujourd'hui, car ils ne savent pas comment se lamenter sur eux-mêmes...


 Pardonne-leur, car ils ne savent pas que Tu as conquis la mort par la mort et que Tu as accordé la vie aux défunts...


 Pardonne-leur, car ils ne savent pas que Ta force les attend.


 Pardonne-leur, car ils ne savent pas que chaque jour est Ton jour.



  

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Dans ces choix de textes des "secrets du coeur " Gibran nous dépeint d'une manière implacable, 

ses sentiments envers l'Homme et son devenir...


Ces paroles sublimes, sont certainement les plus réalistes de l'oeuvre du poète visionnaire... 

elles nous rappellent "malheureusement" que l'Homme d'hier, ressemble "trait pour trait" à l'Homme d'aujourd'hui.


                                                                                                                                                                                        Gabrielle Ségui



« Je voudrais que l'homme manifeste l'instinct de l'oiseau et que la tempête brise les ailes des gens.

 Car l'homme penche vers la peur et la lâcheté et quand il sent la tempête se réveiller,

 il rampe dans les crevasses et dans les grottes de la terre pour se cacher. »


* * *


 « Oui, les oiseaux possèdent un honneur et un courage qui font défaut à l'homme... L'homme vit à l'ombre des lois et des coutumes qu'il s'est façonnées, mais les oiseaux vivent selon la même et libre Loi Éternelle qui permet à la Terre de poursuivre sa puissante route autour du soleil.»


 J'ai cherché la joie dans ma solitude, et comme je m'en approchais, j'ai entendu mon âme me murmurer dans le coeur : « La Joie que tu cherches est une vierge née et élevée dans les profondeurs de chaque coeur, et elle ne jaillit pas dans son lieu de naissance. » Et comme j'ouvrais mon coeur pour la trouver, je n'ai découvert en son domaine que son miroir, son berceau et son vêtement, mais la joie n'était pas là.


 La conviction est une chose précieuse, mais mettre ses croyances à exécution est une épreuve de force.


Nombreux sont ceux qui parlent comme le grondement de la mer, mais leurs vies sont stagnantes et sans profondeur, comme un marais pourrissant. Nombreux sont ceux qui lèvent la tête au-dessus du sommet des montagnes, mais leur esprit continue à dormir dans l'obscurité des cavernes.


 L'hypocrisie demeurera toujours ce qu'elle est, même si ses ongles sont polis et colorés. Et la Fourberie ne changera jamais, même si ses attouchements se font doux et délicats. Et la Fausseté ne se transformera jamais en Vérité, même si vous l'habillez de vêtements de soie et que vous la logiez dans un palais. Et l'Avidité ne deviendra pas Satisfaction, le Crime ne deviendra pas Vertu, l'Éternelle Esclavage aux enseignements, aux coutumes et à l'histoire demeurera l'Esclavage, même s'il se farde le visage et déguise sa voix.


L'Esclavage demeurera L'Esclavage dans toute son horrible apparence, même s'il se pare du nom de LIBERTÉ.


« Et parmi toutes les vanités de la vie, il n'est qu'une chose que l'esprit aime et recherche ardemment.Une seule chose, solitaire et éblouissante.»


« C'est l'éveil de l'esprit. C'est un réveil des profondeurs de notre coeur. C'est une puissance irrésistible et magnifique qui descend soudain sur la conscience de l'homme et lui ouvre les yeux. Il voit alors la Vie au milieu d'une gerbe éblouissante de brillante musique, entourée d'un grand cercle de Lumière au centre duquel il se tient comme une colonne de beauté entre la terre et le firmament.»


 L'éveil spirituel est ce qu'il y a de plus essentiel dans la vie d'un l'homme, et c'est la seule raison d'être. La civilisation, dans toutes se formes tragiques, n'est-elle pas le mobile suprême de l'éveil spirituel ? Alors comment pouvons-nous nier l'existence de la matière quand elle est une preuve indubitable de sa conformité au but qu'elle poursuit?


 Entre les peuples de l'éternité et les peuples de la terre, il y a une constante communication et, tous, nous devons obéir à la volonté de cette invisible puissance. Souvent, un individu accomplit un acte en croyant qu'il est né de sa propre volonté, avec son accord et sur son ordre, alors qu'en fait il a été guidé et inspiré avec précision pour l'accomplir.


Beaucoup de grands hommes ont atteint la gloire en s'abandonnant à la volonté de l'esprit dans une complète soumission, sans contester et sans résister à ses exigences, comme le violon s'abandonne à la totale volonté d'un musicien.


 Celui qui tente de séparer le corps de l'esprit ou l'esprit du corps éloigne son coeur de la Vérité. La fleur et son parfum sont inséparables, et l'aveugle qui nie la couleur et l'image de la fleur en croyant qu'elle ne possède qu'un parfum qui vibre dans l'éther est semblable à ceux qui se pincent les narines en prétendant que les fleurs ne sont que des formes et des tons qui n'ont aucun parfum.


 La misère de nos pays d'Orient est la misère du monde, et ce que vous appelez civilisation à l'Ouest n'est qu'un autre spectre parmi les nombreux fantômes d'une tragique déception.


 La persécution n'atteint pas celui qui proclame la Vérité. Socrate n'a-t-il pas été, dans son corps, une fière victime ? Paul n'a-t-il pas été lapidé pour le salut de la Vérité ? C'est notre moi interne qui souffre quand nous désobéissons et qui nous tue quand nous trahissons.


 Un Dieu plein de bonté ne connaît pas de ségrégation parmi les noms et les mots, et s'il y avait un Dieu pour refuser sa bénédiction à ceux qui suivent une voie différente pour atteindre l'éternité, aucun être humain ne devrait lui offrir son adoration.


 Pour chaque semence que l'automne laisse tomber dans le giron de la terre, il existe une manière différente de séparer la cosse de la pulpe. Alors se créent les feuilles, puis les fleurs, puis les fruits. Mais quelle que soit la manière dont ceci se passe, ces plantes doivent entreprendre un pèlerinage solitaire et leur mission est de se dresser devant la face du soleil.


 Le croyant apprend à connaître les réalités sacrées grâce à des sens profonds qui diffèrent de ceux des autres. Le croyant considère ses sens comme un mur qui l'entoure, et lorsqu'il marche sur le sentier, il dit :« Cette ville n'a pas de sortie, mais elle est parfaite à l'intérieur ». Le croyant vit pour tous les jours et toutes les nuits, et celui qui n'a pas la foi ne vit que quelques heures.


 Les inventions et les découvertes ne sont qu'un amusement et un confort pour le corps lorsqu'il est fatigué. La conquête de la distance et la victoire sur les mers ne sont que fruits fallacieux qui ne satisfont pas l'âme, qui ne nourrissent pas le coeur, qui n'élèvent pas l'esprit car ils sont éloignés de la nature. Quant aux structures et aux théories que l'homme appelle« connaissance » et « art», ils ne sont que des chaînes et des fers dorés portés par l'homme qui se réjouit de leur éclat brillant et de leur cliquetis.


Ce sont de fortes cages dont l'homme a commencé à forger les barreaux voici des siècles, sans se rendre compte qu'il les construisait de l'intérieur, et qu'il serait bientôt son propre prisonnier pour l'éternité.


 L'homme lutte pour chercher la vie en dehors de lui sans se rendre compte que ce qu'il cherche est en lui.


 Nous ne sommes pas tous capables de contempler d'un regard intérieur les grandes profondeurs de la vie, et il est cruel d'exiger de celui qui a la vue basse qu'il distingue ce qui est sombre de ce qui est lointain.


 J'éprouve de la pitié envers ceux qui admettent l'éternité des éléments dont l'oeil est fait, mais qui, dans le même temps, doutent de l'éternité des objets visibles qui utilisent l'oeil comme instrument.


 Comme ils sont injustes envers eux-mêmes ceux qui tournent le dos au soleil et ne voient rien d'autre sur terre que l'ombre de leur être physique !


 Tout ce qui est dans la création existe en vous, et tout ce qui existe en vous est dans la création. Il n'est pas de frontière entre vous et les choses les plus proches, et il n'y a pas de distance entre vous et les choses les plus éloignées. Et toutes les choses, de la plus basse à la plus élevée, de la plus petite à la plus grande sont en vous dans une complète égalité.


 Dans un atome, on trouve tous les éléments de la terre; Dans un mouvement de l'esprit se trouvent tous les mouvements des lois de l'existence; Dans une goutte d'eau se trouve tous les secrets des océans sans fin; Dans un aspect de vous, il y a tous les aspects de l'existence.


 Comme celui qui place ses mains entre son visage et le monde est étriqué : il ne voit que les lignes étroites de ses paumes !


 Le temps et le lieu sont des états spirituels; Tout ce qui se voit et tout ce qui s'entend est spirituel. Si tu fermes les yeux, tu percevras toutes choses à travers les profondeurs de ton moi intérieur, tu verras le monde physique et céleste dans son intégralité, tu feras connaissance de ses lois et de ses préceptes nécessaires, tu comprendras la grandeur qu'il contient au-delà de sa proximité.


 Celui qui est limité dans son coeur et dans sa pensée a tendance à aimer celui qui est limité dans sa vie. Celui qui a la vue basse ne voit pas plus loin qu'une coudée sur le sentier qu'il parcourt et pas plus qu'une coudée sur le mur contre lequel il appuie son épaule.


 Dieu a créé plusieurs portes qui donnent sur la vérité, et il les ouvre à tous ceux qui y frappent avec des mains de foi.


 Dans la maison de l'ignorance, il n'y a pas de miroir où contempler votre âme.


 Celui qui se dessèche et se nettoie de ses propres larmes demeurera pur pour toujours.


 La véritable force qui empêche le coeur d'être blessé est celle qui lui évite de se gonfler à sa grandeur interne. Le chant de la voix est mélodieux, mais le chant du coeur est la pure voix du ciel.


 La pièce que vous laissez tomber dans la main flétrie qui se tend vers vous est la seule chaîne d'or qui lie votre coeur plein de richesse au coeur aimant de Dieu...


 Les humains se divisent en clans et en tribus, ils appartiennent à des pays et à des villes. Mais je me sens étranger à toute communauté et je n'appartiens à aucune colonie.


 « L'Univers est mon pays et la famille humaine est ma tribu. »


 Les hommes sont faibles, et il est triste qu'ils soient divisés. Le monde est petit, et il est peu sage de le partager en royaumes, en empires et en provinces.


 L'humanité est l'esprit de l'Être Suprême sur la terre, et cette humanité se tient au milieu des ruines, couvrant sa nudité sous des haillons, répandant ses larmes sur ses joues creuses et appelant ses enfants d'une voix pitoyable. Mais les enfants sont occupés à chanter l'hymne de leur clan et à aiguiser leurs glaives. Ils ne peuvent entendre les cris de leurs mères.


L'humanité est l'esprit de l'Être Suprême sur la terre, et cet esprit prêche l'Amour et la bonne volonté. Mais le peuple ridiculise de tels enseignements. Jésus le Nazaréen les écoutait, et son sort fut d'être crucifié. Socrate entendit la voix et lui obéit, et il souffrit dans son corps. Les adeptes du Nazaréen et de Socrate sont les adeptes de la Divinité, et comme le peuple ne veut pas les tuer, il se moque d'eux en disant : « Le ridicule est plus amer que la mort ».


 Tu es mon frère, mais pourquoi te querelles-tu avec moi ? Pourquoi envahis-tu mon pays et tentes-tu de me subjuguer pour plaire à ceux qui cherchent gloire et autorité ?


Oh, peuple de la bruyante cité, vous qui vivez dans l'obscurité, qui vous hâtez vers la misère, qui prêchez le faux et qui proférez des stupidités... Jusques à quand demeurerez-vous dans l'ignorance ? Jusques à quand vous vautrerez-vous dans les souillures de la vie et déserterez-vous ses jardins ?


Pourquoi portez-vous des haillons étriqués, alors qu'on a coupé pour vous des vêtements de soie dans la beauté de la nature ?


La lampe de la Sagesse vacille, et il est temps d'y mettre de l'huile. La maison de la fortune véritable est en train de s'écrouler, il est temps de la reconstruire et de la conserver. Les voleurs ignorants ont volé le trésor de votre paix, il est temps de le reprendre.


 Jusques à quand le peuple restera-t-il assoupi ?


Jusques à quand glorifiera-t-il ceux qui n'ont atteint la grandeur que par chance?


 Combien de temps ignorera-t-il ceux qui lui ont permis de voir la beauté de son esprit, symbole de paix et d'Amour?


 Jusques à quand les hommes honoreront-il les morts en ignorant les vivants qui passent leur vie dans un cercle de misère, et qui se consument comme des cierges allumés afin d'éclairer le chemin des ignorants et les conduire sur les sentiers de la Lumière ?




Images

 "Amour Aigle " Chayan Khoï

Auto portrait : Gibran

 «l'esclave inconnu» Saint-Laurent-du-Maroni (Guyane)

" Jésus crucifié " © Salvador Dali

" Jésus de Nazareth " de Franco Zeffirelli aux éditions Filipaccchi

( Choix de textes )